Rappelez-vous, en 2019, j’avais candidaté au concours de nouvelles Écrire au féminin. Eh bien j’ai récidivé cette année. J’avais envie de vous partager, cette fois encore, le fruit de cette participation. SPOILER ALERT : je n’ai pas été retenue, malheureusement, cependant hors de question de me laisser abattre, je retenterai ma chance l’année prochaine !
Cette année, j’ai soumis deux textes, dans deux catégories différentes : « Dans le regard de ma fille » pour la première et « Une escapade lointaine » pour la deuxième.
Pour être honnête avec vous, la première n’est pas vraiment une nouvelle. Plutôt un texte. Un texte à la saveur un peu particulière pour moi puisqu’il s’agit, en quelque sorte, du prologue du roman que j’ai tout juste commencé à écrire. J’avais envie, grâce à cette première publication, de le confronter déjà un peu au regard des autres. De commencer à lui donner vie pour me convaincre qu’il était bel et bien réel. Sans autre transition, le voici :
Être Mère
Être mère, c’est faire des choix. Parfois lourds et meurtriers. Parce qu’on souhaite avant tout faire le bien. Sauf qu’il arrive de temps en temps que la vie nous mette face à des choix qui n’en sont pas. Nous force à s’arracher l’une ou l’autre moitié du coeur. Pourtant on tranche. On avance, on agit. Tout en priant encore d’avoir bien choisi. D’avoir bien pensé. Même s’il n’existe aucun manuel pour apprendre à écrire l’avenir.
Être mère, c’est se tromper. Parfois. Pécher par peur, par orgueil, par excès d’amour, par manque de confiance. C’est avoir les pouvoirs d’un dieu dans le corps d’une simple femme. Avec tous les risques que cela entraîne. Avec les forces et les faiblesses. Les intuitions et les doutes. Les vils défauts de notre triste condition humaine.
Être mère, c’est parfois dire des choses qui nous dépassent et tout de suite le regretter. C’est faillir une seconde et s’en vouloir pour des années.
Être mère, c’est chérir plus que tout son enfant et ne pourtant pas se rendre compte de l’importance qu’on a pour lui. C’est être tout, mais rester discrète. Toujours présente, mais un peu dans l’ombre. Mais pas trop non plus.
Être mère, c’est rester debout. Même quand la peur, la jalousie, la douleur nous lacèrent le coeur et l’âme. C’est sourire quand même. Et garder la voix douce. C’est dire « ne t’en fais, ça va », même quand le monde s’effondre sous chacun de nos pas.
Être mère, c’est aimer quand on est seule. Mais aussi quand on ne l’est pas assez. C’est aimer plus que soi-même, sans mesure, sans condition, au plus fort de la nuit comme du jour, mais toujours un peu dans la retenue. C’est être prête à tous les sacrifices mais sans trop le dire non plus. C’est étouffer d’amour, sans étouffer l’objet de celui-ci.
Être mère, c’est transmettre son feu, ses passions, ses valeurs, ses convictions. Tout en laissant son enfant libre de voler par lui-même. De penser tout l’inverse. Et l’accepter.
Être mère, c’est être sans cesse la folle sérieuse. C’est danser et chanter dans le salon les soirs d’hiver, mais devenir d’un seul coup le pire des sorcières pour imposer la loi en suscitant l’indignation. C’est être celle qu’on adore puis déteste dans l’instant qui suit. Et continuer de le faire quand même.
Être mère, c’est dur, c’est terrifiant, c’est long et épuisant. C’est faire jour après jour le seul métier qui ne s’apprend pas. C’est lutter, douter, renoncer, sacrifier, prier, trembler, pleurer. Et recommencer.
Mais au fond, tu vois, je m’en fous.
Parce qu’être mère, c’est vibrer d’un amour à nul autre pareil. Et se voir l’offrir en retour. C’est recevoir une confiance que personne d’autre ne pourra jamais nous octroyer. C’est tenir dans ses bras le destin d’un être humain et le cultiver comme un trésor. C’est aider à construire un corps, un coeur, une âme, et l’accompagner jusqu’à son dernier soupir.
Et quand je vois dans ton regard flamboyer la femme que tu es à l’aube de devenir, alors je sais que j’ai réussi l’oeuvre de ma vie, ma chérie.
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En revanche, j’ai rédigé ce second texte pour l’occasion. Pour la première fois je me suis prêtée à l’exercice de la rédaction de nouvelle, en essayant de respecter les codes du genre. Voici le résultat :
Sur le petit chemin de terre
— Aller viens, enfile tes bottes et ton manteau, résonna sa voix dans l’escalier en bois ciré.
Cela faisait au moins dix ans que nous n’avions pas été parcourir la campagne lui et moi. Pourtant, le temps était déchaîné ce jour-là. Une pluie fine et incessante, doublée d’un froid à glacer les os, mais qu’importe, j’étais trop impatiente de partager enfin un moment avec lui. Rien que lui et moi. Peut-être même qu’on se tiendrait la main en avançant sur le chemin, comme avant.
J’enfilai mon pull en grosses mailles, celui qui me mange le visage avec son imposant col roulé. Il n’était tout de même pas suffisant pour cacher le sourire qui l’envahissait tout entier.
— Où est-ce que tu m’emmènes, aujourd’hui ?
— Dans nos souvenirs, sœurette, dans nos souvenirs…
Sa voix se brisa, imperceptiblement. Il devait être ému, lui aussi. Le pouvoir indicible de la nostalgie. Sans plus poser de question, je le laissais guider nos pas. Dans le silence de cette fin d’après-midi, où seule la pluie martelait le temps qui passe, je buvais chaque minute, respirais chaque seconde de cette escapade à deux voix.
Au détour du virage, je reconnus immédiatement le petit chemin de terre. Celui dans lequel je courrais avec lui et Margot en poursuivant les oiseaux. Du temps où nous imaginions encore pouvoir les attraper de nos mains. Du temps où la vie sentait le chocolat, le pain grillé de Maman et les jeux dans les herbes folles.
Comme il avait changé, ce sentier de notre enfance ! Les achillées et les coquelicots avaient totalement disparu. La pluie faisait ruisseler des larmes de boue le long de ses talus autrefois si joliment maquillés de mûres et de fleurs sauvages. Le grand chêne centenaire, qui étendait fièrement ses branches indestructibles vers les cieux comme un défi, gisait, fendu en deux. Malheureux vestige d’un passé qui se pensait éternel. De la cabane en bois, il ne restait plus rien, pas même une vieille planche vermoulue. Et de nos rires d’enfants… plus un seul écho.
Le vent soufflait sa complainte.
— Sarah, Sarah, c’est moi, répond-moi !
Pourquoi la voix de ma sœur me parvenait en plein milieu de notre champ ? Elle semblait si inquiète. Je regardai Paul. En bon grand frère, il savait toujours quoi faire. Son visage restait serein. Il continuait de sourire. Ses yeux me soufflaient « ne t’en fais pas, tout va bien ».
— Sarah, réveille-toi maintenant, aller !
J’ouvrai difficilement les yeux, sans vraiment comprendre. Je ne pouvais pas partir sans lui. Que voulait-elle à la fin ?
— Arrête, Margot, il faut attendre Paul, il est là, sur le chemin…
Je vis la peine surgir dans son regard. Les larmes envahir ses yeux, couler sur ses joues. Elle me prit dans ses bras et me serra comme on serre un cœur qui ne guérit pas.
— Aller chut, chut, murmura-t-elle en caressant mes cheveux. Moi non plus sœurette, je n’arrive pas à réaliser que ça fait dix ans aujourd’hui qu’il nous a quittés.
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Je garde de cette expérience un sentiment très positif. Même si je n’ai pas été sélectionnée, et même si, au fond, je n’y croyais pas du tout, j’ai réussi, une fois encore à me prouver que j’étais capable de le faire. De sauter dans le vide et d’oser de nouveau écrire. Pas des articles sur le marketing ou des dossiers de presse. Non, de simples morceaux de mon coeur.