Il faut que je vous raconte une histoire un peu folle. Il y a quelques semaines, j’ai fait quelque chose d’incroyable. Quelque chose que je ne me pensais pas capable de faire, ou du moins d’oser faire. Et pourtant, le 17 novembre 2019 à 14h14, j’ai envoyé ma toute première nouvelle pour concourir au Prix littéraire « écrire au féminin » 2019.
Vendredi 14 novembre, 1h du matin, je fais un dernier tour rapide sur Instagram avant de dormir. Les yeux mi-clos, je m’apprête à sombrer lentement vers le sommeil lorsqu’un post des éditions Michel Lafon attire mon regard autant que mon attention :
À cet instant précis, je ne peux m’empêcher de penser : « Eh voilà, si seulement j’avais été au courant plus tôt, j’aurais pu tenter ». C’est vrai. Pas de bol. Et pourtant… alors que j’écris depuis des années, à titre personnel mais aussi professionnel, je n’ai jamais, non jamais imaginé un jour que je pourrais participer à ce type de concours. Pudeur ? Peur de l’échec ? Sensation de ne pas être à la hauteur ? Je ne sais pas ce qui m’en a jusqu’alors empêché.
Toujours est-il que je m’endors sur cette pensée que la chance n’est pas de mon côté. Alors que je suis peut-être simplement en train de me mettre des bâtons dans les roues, comme d’habitude…
Après une nuit agitée je me réveille de bonne heure. Une pensée ne quitte pas mon esprit. Elle monte, se fait de plus en plus présente, au point que je me mets à l’écouter pour de bon : « Et si je tentais ma chance, tout compte fait ? ». Un petit noeud au creux du ventre, j’analyse. « Après tout, 3.000 signes, ce n’est rien. C’est moins de 500 mots. En deux jours, je peux le faire. » Je passe rapidement en revue les tâches du week-end : le lobe « family planner » de mon cerveau valide cette incartade.
Aller, je me lance. C’est décidé. Je n’ai rien à perdre. C’est fou, c’est irréel, c’est perdu d’avance, mais je me sens vibrer comme cela ne m’est pas arrivé depuis bien longtemps.
Des 4 thèmes imposés, j’opte pour « Le photocopieur était en panne », celui qui pourtant, de prime abord, me parlait le moins. Finalement, je trouvais fascinant de pouvoir partir de quelque chose d’aussi anodin que cela et de jouer un petit bout du destin d’une vie dessus. Je parle bien sûr de mon personnage (ou peut être un peu de moi ?).
Le souffle court, j’allume mon Mac. Et là c’est la rencontre. La rencontre entre mon âme et le clavier. Mes idées brûlent, les mots jaillissent. Les larmes un peu aussi. Je suis extatique.
Puis la journée reprends son cours, et passe avec sa dose de vie quotidienne. Le soir, après que la maison soit couchée, j’essaie d’avancer. Je fignole, je polis, mais le doute m’envahit. « Quelle idée d’espérer ! Comment ça pourrait marcher ? En plus, je n’ai jamais écrit de nouvelles de ma vie... » L’euphorie s’est volatilisée.
Je m’endors avec cette certitude que je n’enverrai pas ma nouvelle. Tant pis.
Le lendemain matin, l’espoir se mêle au doute. Mais la déception est toujours là. Je n’aime plus ce que j’ai écrit. Je décide de faire lire la nouvelle à ma mère. Face à elle je n’ai pas honte, et je sais qu’elle met un point d’honneur à toujours rester impartiale. Je la préviens que ma nouvelle est nulle et qu’elle a le droit de me le dire. Elle prends son courage à deux mains (redoutant peut-être un peu le pire). Elle lit. Termine. Me regarde, les larmes aux yeux. Elle a aimé.
Il est 14h14, le dimanche 17 novembre 2019, je me dis que c’est aussi dur que merveilleux d’écrire. Que ça me tord le ventre de doutes, mais que c’est une bénédiction de pouvoir coucher ses mots sur le papier et d’exprimer son âme, ses tripes, ses rêves.
J’appuie sur le bouton envoyer.

Alors voilà, je ne vais pas faire durer le suspens plus longtemps. Le comité présélectionnait 12 nouvelles sur les 939 reçues, et la mienne n’a pas été retenue. Je ne dis pas que ça ne me fend pas le coeur, même si je m’y attendais. Évidemment, une part de la petite fille en moi rêvait d’être au moins dans les 12, même si l’adulte raisonnable avait calculé depuis longtemps les probabilités…
C’est vrai, je n’ai pas gagné. Mais au fond ce n’est peut-être pas ça le plus important. J’ai surtout réalisé que je n’avais pas envie de m’arrêter. Qu’écrire, même si j’en fais déjà mon métier dans un autre domaine, est pour moi un besoin, une urgence, un cri.
Bien sûr je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, mais j’ai envie de tenter de poursuivre l’aventure. Apprendre à m’améliorer. Continuer d’écrire ici. Et pourquoi pas sur Instagram aussi. Laisser filer les mots et voir où tout cela me mène. Et pour peu que cela vous plaise, alors j’aurais vraiment tout gagné !
Ah, et si d’aventure il vous prenait l’envie de lire cette fameuse nouvelle, eh bien… la voici !
16h14
Je ferme la porte de la salle d’archive. Cette odeur de vieux papier, témoin d’un autre temps, m’arrache à mes pensées. Je m’approche du photocopieur. L’horloge marque 16h. Encore 7.200 secondes avant la liberté. Le parfum de l’encre me prend à la gorge. Si âcre et pourtant si familier. Aller, plus que 64 pages et le dossier est bouclé. Je fais glisser les premières pages dans le bac. Dans quelques instants il avalera les feuilles comme les minutes de ma vie. J’appuie sur le bouton, machinalement.
Rien.
J’insiste, insiste encore. En panne. L’orage monte, je le sens gronder en moi. Cette chaleur qui parcourt mon ventre, emplit mes poumons, envahit mes joues, jusqu’au sommet de mon crâne. J’insiste encore. Les larmes envahissent mes yeux, troublent ma vue. Cette rage sourde, contenue depuis tant de minutes, de jours… d’années, je la sens, elle est là, prête à jaillir. Et surtout cette question, la question : « Pourquoi ? »
Pourquoi ce photocopieur me lâche comme tout me lâche ? Comme ma vie me lâche. J’ouvre violemment le capot, mais soudain je me fige. Face à la vitre, sans prévenir, m’apparaît mon reflet. La pâle copie de celle que j’aurais voulu être. À peine un pauvre tirage en noir et blanc… Moi qui voulais vivre, aimer, rire, souffrir, pleurer et vivre encore, que suis-je donc devenue ? Où sont mon humour et ma folie ? Ma fougue et ma liberté ? Il n’y a plus que le silence et l’habitude qui règnent en maître dans ce coeur desséché, vidé de ses rêves et de ses envies. Vidé de son voeux le plus cher : vibrer.
Que reste-t-il de moi aux yeux de ceux qui croisent encore mon existence ? Une ombre, un soupir. Et le souvenir d’une fille qui aurait pu. Mais qui n’a pas. Je me sens comme la somme d’espérances déçues, de lèvres pincées, de regards baissés. Je suis celle qui a dit oui à l’ombre pour ne pas risquer de survivre à la lumière. Celle qui a renoncé pour assurer. Ne pas échouer.
Je caresse instinctivement les feuilles blanches devant moi. Moi, tout ce que je voulais, c’est écrire, écrire encore, et crier mon âme sur le papier ! Écrire la beauté, la mort, l’amour, la solitude, et le temps qui passe. Écrire, jusqu’à en crever, ma joie de vivre et mon coeur cabossé.
Je lève les yeux, Sarah a encore laissé traîner son mug sur l’étagère à côté des piles de ramettes vierges. Je me raidis, le souffle court. Sur la porcelaine blanche, les lettres imprimées provoquent en moi une onde de choc : « Choose life »…
Je referme la porte de la salle d’archive. Cette odeur de vieux papier, témoin d’un autre temps, m’arrache un sourire. L’horloge marque 16h14. C’est décidé, plus aucune seconde ne me sépare de la liberté. Je marche vers elle et vers mon avenir. Je choisis de devenir celle que je suis. Je vais écrire pour le reste de ma vie.